Que faire pour réparer les préjudices subis par des innombrables victimes des crimes graves commis en République Démocratique du Congo ? Cette question est l’une des principales qui taraudent les esprits dans les salons de grandes organisations de défense des droits humains, des acteurs de la société civile et même les victimes et rescapés des crimes graves.
Pour l’Organisation internationale Avocats sans Frontière (ASF), face à l’absence persistante de l’exécution des jugements rendus en faveur des victimes, elle propose au gouvernement congolais, à l’issue de son étude : « dépasser le statuquo en matière de réparation en RDC : enjeux et perspectives », de mettre en place « un fonds d’indemnisation de victimes (FIV) »
Aujourd’hui, cette question se pose plus que jamais, au moment où la RDC se veut d’entrer dans une ère de paix et de développement. Pour tenter d’apporter une réponse à cette question difficile, on ne peut qu’évoquer la problématique d’exécution des décisions judiciaires et le processus de Justice transitionnelle.
Elle est un ensemble d’outils judiciaires et non judiciaires axée sur la manière dont les sociétés en transition d’un régime autoritaire à la démocratie ou de la guerre à la paix ou les deux, comme la RDC, peuvent aborder le legs des exactions massives. En théorie comme en pratique, l’objectif de la justice transitionnelle est de faire face au lourd héritage des graves abus commis, d’une manière large et globale.
La justice transitionnelle est constituée de 4 piliers notamment celui de la recherche de la vérité, de la justice, de la réparation et enfin celui de la garantie de non répétition ou réforme institutionnelle.
Il est donc impératif que les mécanismes de la justice transitionnelle soient mis en place en RDC afin de pouvoir répondre aux demandes des victimes, de justice, de vérité, de réparation et de garantie de ne pas devoir revivre à l’avenir les mêmes atrocités ; Demandes qui durent depuis bientôt 30 ans.
En tant que l’un des piliers de la justice transitionnelle, la réparation constitue l’un des éléments essentiels pour tenter de sécher les larmes des victimes. Certes, il est difficile que les réparations, quelque soient leur taux, puissent couvrir l’étendue des préjudices mais plusieurs acteurs s’accordent sur le fait que cela constitue un début de reconnaissance et un pas vers la garantie de non répétition.
Déjà le rapport Mapping produit par les experts des Nations Unies constitue un point de départ important car ayant répertorié les crimes graves commis de 1993 à 2003 en RDC spécialement à l’Est mais aussi les auteurs de ces crimes.
Des réparations importantes mais sujettes à des préalables
Maintenant que les processus de la mise en place de la justice transitionnelle semblent évoluer dans le sens positif, des questions s’élèvent dans l’opinion sur la provenance de ces fonds de réparation, ceux qui peuvent en assurer la gestion, mais aussi comment les victimes pourraient-elles réellement profiter de ces fonds.
Pour le député provincial élu du Sud-Kivu, Homer BULAKALI, les fonds doivent provenir de l’humanité entière comme il s’agit des crimes contre l’humanité et qui ont heurté toute une communauté.
« En RDC il y a eu génocide, il y a eu crimes contre l’humanité. Ce sont des crimes qui ont été déclaré ennemis de l’humanité et qui devraient être combattus par toute l’humanité. C’est toute l’humanité qui a échoué d’empêcher la commission de ces crimes et donc c’est toute l’humanité qui doit réparer. En ce sens-là, les fonds peuvent provenir de n’importe où soit de toute l’humanité… néanmoins il y a des acteurs directs c’est-à-dire ceux-là qui ont réellement participé aux crimes et qui doivent subir des sanctions. C’est par exemple des sanctions de nature économique qui peuvent s’illustrer par des interdictions de telles ou telles autres opérations ou alors par l’obligation à payer les amendes. Certes que les amendes pécuniaires peuvent ne pas être suffisantes au regard de la grandeur des crimes. Par exemple, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda qui sont cités dans les crimes en RDC avec plus de 10 millions de personnes tuées. La réparation peut couvrir dans ce cas-là plus de 100 millions de personnes mais ces Pays ne seront pas capables de le faire. En ce moment-là, c’est l’humanité entière qui devrait mettre la main à la poche… », Explique cet élu résolument engagé dans le secteur de la justice transitionnelle.
En réparation avec la gestion des fonds, l’élu de la ville de Bukavu estime qu’avant de parler de cela, il serait mieux indiqué de penser d’abord aux préalables. Parmi ces préalables, Homer BULAKALI insiste sur la justice.
Selon lui, on peut penser à la réparation avant la justice. Il rappelle que la réparation est une sanction et c’est la justice qui doit ordonner cela d’où l’essentiel c’est de commencer par là.
« Pour la réparation, les fonds devraient normalement passer par le gouvernement qui devrait associer la société civile et toutes les forces vives. Et les réparations, ce n’est pas forcément qu’on donne une somme en termes d’argent à un individu ou à une famille. Comme c’est un fond, on peut par exemple, initier un projet de développement pour essayer, tant soit peu panser les plaies de cette population victime. Par exemple si à Makobola, à Kaniola ou encore à Kaziba où on a tué des gens en catastrophes, si on dit qu’on va industrialiser ce coin, ça va faire à ce que les gens viennent de l’extérieur pour acheter ce que nous on produit ici et cela peut diminuer le chômage. Au fait la population va comprendre que cet outil existe ici en réparation des crimes commis.
C’est possible même qu’une famille victime ne profite pas directement de cette industrie mais en réalité cela va permettre le relèvement économique du milieu et d’une façon ou d’une autre, elle va se retrouver », explique-t-il avant de poursuivre avec plus de précision « le gouvernement peut aussi décider de prendre en charge de manière gratuite les soins de santé, l’éducation ou même d’autres besoins de base de cette population victime pendant plusieurs années. Mais ce n’est pas le gouvernement qui touche dans sa poche, cela se fait grâce à ces fonds.
Par rapport aux idées déjà émergeantes consistant à ériger ces fonds en un établissement public au niveau national, le député provincial Homer Bulakali s’inscrit en faux.
Déjà dans un entretien avec Me Justin Bahirhwe, coordonnateur de SOS Information Juridique Multisectorielle (SOS IJM en sigle) et fervent défenseur des droits humains, ce dernier avait évoqué des questions particulières liées à ce fonds.
Selon lui, il existerait déjà un projet de décret qui définit l’origine des fonds, les mécanismes de gestion et d’affectation.
Une discussion sur la réparation estimée aux dommages et intérêts en droit congolais ; lesquels d’ailleurs non honorés pour la plupart des cas pendant que ces derniers devaient être un geste aboutissant au relèvement des victimes des crimes internationaux.
D’où l’étude de l’organisation internationale Avocats Sans Frontières, intitulée « dépasser le statuquo en matière de réparation en RDC : enjeux et perspectives », menée dans le cadre du projet Soutenir les efforts de la lutte contre l’impunité en RDC, par Sarah LIWERANT, Directrice adjointe de l’école de criminologie de l’Université de Kinshasa.
A ce jour, malgré une somme de presque 28 millions USD accordée à plus de 3.300 victimes, seule une décision de réparation a partiellement été exécutée. A ce constat, se pose deux problèmes majeurs, constate l’étude. D’abord, les réparations ne peuvent être allouées que sur décision judiciaire, limitant l’accès à la justice de nombreuses victimes. Et deuxièmement, le droit congolais ne permet que d’allouer des réparations pécuniaires et individuelles.
La nature des crimes commis, des préjudices causés et leur impact sur de larges portions de la population requièrent une réponse adaptée. Pour l’organisation, l’accès à des mesures de réparations effectives et adaptées en RD Congo est une priorité à l’heure où le pays est engagé dans la lutte contre l’impunité de crimes de masse.
« S’il faut parler de réparation ; il faut déjà savoir de quoi on parle, parce qu’en droit congolais eh ! bien ces sont des dommages et intérêts. Or, réparer pour les victimes ça peut être des réparations individuelles et pécuniaires mais finalement la signification est au-delà des dommages et intérêts. C’est plutôt question de reprendre sa vie, pouvoir se relever; reprendre sa vie là où on l’avait laissée » a expliqué Sara LIWERANT aux magistrats, avocats, membres de la société civile ainsi qu’aux représentants des victimes lors de l’atelier de présentation de l’étude tenue à Goma du 05 au 08 juillet 2021.
Pour conclure, l’étude recommande de toute urgence à revoir en profondeur la place accordée aux victimes et aux réparations dans les nombreux procès de justice internationale qui se tiennent en RD Congo. Car, si ces enjeux ne sont pas rencontrés, c’est tout le processus de justice transitionnelle entamé dans le pays qui est en péril. Sa réussite est pourtant fondamentale pour permettre à la population de retrouver la confiance en ses institutions et d’envisager une réelle réconciliation au niveau nationale.
Article rédigé avec le soutien et l’appui financier de RCN Justice et Démocratie (RCN J&D).
Par Etienne MULINDWA