Le Tribunal Militaire de Garnison de Bukavu a condamné, à la peine de prison à perpétuité, le chef milicien Masudi Alimasi Frédéric alias Koko-di-Koko pour des exactions qu’il a commises à Kabikokole, Keba, Wameli, Kamungini, Geuza, Bimpanga et bien d’autres villages du territoire de Shabunda.
Le jugement a été rendu mardi 19 novembre 2019 au siège du Tribunal Militaire de Garnison de Bukavu, à plus d’une centaine de kilomètres des endroits où ont été commis ces crimes.
Poursuivi avec quatre de ses coaccusés, ce commandant de la sixième brigade de la milice Mai Mai et ancien policier, a été condamné avec deux d’entre-deux. Il s’agit de Samitamba Samuel alias Kaburi Wazi et Mwilo Katindi qui écopent respectivement de 20 et 15 ans de servitude pénale principale. Deux autres prévenus ont été acquittés pour insuffisance des preuves à leur charge.
Avec ce jugement, la Justice Militaire confirme donc que les prévenus condamnés ont bel et bien commis des crimes contre l’humanité tels que repris aux articles 7 et 8 du Statut de Rome.
Ainsi, les infractions des crimes contre l’humanité par viol, par torture, par disparition forcée, par réduction en esclavage, par viol, par emprisonnement et par autres actes inhumains notamment le pillage et la destruction.
Pour chacun de ces infractions spécifiques, le Tribunal Militaire de Garnison de Bukavu a retenu une peine mais, au final, c’est la peine la plus forte qui a été prononcée et ce conformément à l’article 7 du code pénal militaire, a précisé le Major Kabila Ngoyi Gabriel, le Président de la composition.
En rapport avec la réparation des préjudices causés, la justice Militaire a condamné les prévenus in solidum avec l’Etat Congolais au paiement des dommages et intérêts à chacune des victimes en fonction de la gravité des préjudices.
La fin d’un feuilleton judiciaire qui servira d’exemple à deux points de vue
Le jugement tel que rendu constituera de référence, parce que l’Etat a été reconnu coupable du fait de la négligence et cette décision servira de dissuader les autres responsables des groupes armés qui opèrent encore dans la partie Est du pays.
En rapport avec la responsabilité civile de l’Etat congolais, l’un des avocats des parties civiles Me Charles Cubaka Cicura se réjouit de voir que malgré le fait que les accusés appartiennent à des groupes non-étatiques, l’État congolais a également été reconnu responsable.
Il estime que dans le cas où les trois coupables ne sont pas en mesure d’indemniser les 307 victimes, l’Etat congolais pourra le faire.
Des précédents ont montré que l’État était réticent à indemniser les victimes, même lorsque cela est demandé par les juges. Me Charles Cicura estime que ce n’est pas chose impossible.
Selon lui, il faudra que les avocats des victimes s’engagent à poursuivre le travail consistant à informer à chacune des victimes les peines qui ont été prononcées contre les prévenus, une chose qui sera un début de réparation morale des préjudices.
C’est ici qu’il pense que les organisations devraient poursuivre l’accompagnement aux victimes en mettant de la pression sur l’Etat congolais en activant les mécanismes nécessaires pour que cela soit effectif.
En rapport avec la lutte contre les groupes armés et l’impunité des groupes armés, Me Charles Cubaka Cicura pense que ce jugement est une leçon aux autres responsables des groupes armés qui continuent à semer terreur et désolation dans la partie Est de la République.
« et si l’Etat est condamné et que ces dommages et intérêts sont payées par lui, nous pensons qu’il prendra des dispositions nécessaires afin de sécuriser davantage sa population et surtout de ne pas laisser pourrir la situation. Parfois ces groupes armés croient qu’ils sont autorisés à tout faire mais avec la série de toutes ces condamnations, nous pensons que certains devront se remettre à l’ordre… », espère-t-il.
Un verdict qui satisfait les avocats des parties civiles
La condamnation du chef rebelle Frédéric Masudi Alimasi alias Kokodikoko et deux de ses coaccusés est une nouvelle victoire contre l’impunité des crimes graves commis par les responsables des groupes armés opérant en République Démocratique du Congo en général et au Sud-Kivu en particulier.
Me Charles Cicura se dit satisfait de ce jugement qui, pour lui, redonnera du sourire aux nombreuses victimes des actes commis par les Mai Mai que conduisaient Frédéric Masudi Alimasi alias Kokodikoko.
« c’est une satisfaction. Vraiment une satisfaction pleine au nom des victimes surtout parce que ce sont elles qui ont été touchées dans leur chair et qui, en principe, on vu leurs bourreaux condamnés. Ça c’est d’une part. Et d’autre part, c’est parce qu’on a reconnu la responsabilité de l’Etat congolais qui a failli à sa mission de protection. Nous saluons l’accompagnement des organisations comme la Fondation Panzi, Trial International, le BCNUDH la Task Force et RCN Justice et Démocratie parce que sans elles, nous ne pourrions pas arriver à obtenir ces résultats », se réjouit-t-il.
Partiellement satisfaits, les avocats de la défense vont aller en appel
Forts d’avoir plutôt plaidé pour le rejet des infractions des crimes contre l’humanité et de ne retenir que quelques infractions notamment la participation à un mouvement insurrectionnel à l’endroit de ces trois clients condamnés, ces avocats estiment que le Tribunal n’a pas bien dit le droit.
L’un des conseils des prévenus Me Esther Bashugi annonce que ses clients iront en appel à la Cour Militaire du Sud Kivu.
« à l’issue de ce procès, j’ai une joie parce que parmi mes cinq clients deux ont été acquittés et n’ont pas été chargés par le Ministère public, moins encore par les parties civiles faute de preuves. Nous sommes heureux que le Tribunal n’ait retenu aucune charge pour eux. Pour les autres qui viennent d’être condamnés, ce n’est pas encore la fin parce que la Constitution nous garantit le double degré de juridiction. Donc on ira en appel », assure-t-elle.
Bref contexte
Pour rappel, le chef de milice Frédéric Masudi Alimasi alias Kokodikoko et ses hommes sont accusés de crimes graves commis dans plus de quinze villages des territoires de Mwenga et Shabunda entre janvier 2018 et janvier 2019.
Arrêté en avril 2019, les audiences ont commencé d’abord à Bukavu avant de se poursuivre en chambres foraines sur les lieux de la commission des crimes respectivement à Mwenga puis à Shabunda.
Ces audiences ont été facilitées grâce aux organisations de la Task Force pour la Justice Internationale. Signalons que RCN J&D a appuyé la couverture de ce procès dans le cadre du projet « Soutenir les efforts de la lutte contre l’impunité en RDC ».
Etienne Mulindwa