Plusieurs violations des droits humains et des violations de la loi en matière de la procédure judiciaires sont commises par les officiers de police judiciaire basés dans différents territoires de la province du Sud-Kivu.
Ces violations sont dues, certaines à l’absence des prisons et maisons de détention dans ces territoires d’autres sont dues à l’éloignement géographique entre les maisons de détention ou les prisons et les instances judiciaires de la place.
Chacun des huit territoires de la province du Sud-Kivu est doté chacun d’une prison dans laquelle sont détenues toutes les personnes condamnées à l’issue d’un procès ou alors celles qui sont en attente d’une décision judiciaire.
Ces prisons sont chacune rattachées à un Tribunal de Grande Instance ou alors à un Tribunal de Paix dont certains d’ailleurs ont été installés récemment dans le ressort de chaque territoire.
Il faut pourtant noter que la plupart de ces prisons sont installées dans les chefs-lieux et ou dans les centres des territoires. Cette situation fait que les habitants et les OPJ des autres parties de ces territoires soient désintéressés par le respect des droits humains surtout en matière de privation de liberté.
Cette situation se fait sentir particulièrement dans les territoires réputés vastes de la province. C’est le cas du territoire de Shabunda, le deuxième de la RDC après celui de Bafwasende en province Orientale.
Des morts sont enregistrés dans plusieurs maisons carcérales comme dans le territoire de Kabare, Walungu et même Kalehe. Dans le territoire de Kabare par exemple, 7 détenus sont décédés les uns par manque de quoi manger, les autres pour n’avoir pas bénéficié des soins de santé adéquats en l’espace de six mois.
Maitre Joseph Mpeseni est le président de la société civile à Shabunda ou une seule prison est visible et se trouve à Shabunda centre. Il précise que les OPJ et même les autorités ont d’énormes difficultés dans le transfèrement des personnes arrêtées.
« ici à Shabunda, nous avons une seule prison qui se trouve d’ailleurs dans un mauvais état. Dans cette prison, les détenus peuvent même sortir sans être accompagnés et revenir quand ils veulent… Shabunda c’est un territoire très vaste et la prison est éloignée de plusieurs postes de police mais dans ces derniers, c’est rarement que vous trouverez un cachot rattaché. Dans les rares qui existent, aucun contrôle ne s’y effectuent juste pour vérifier la régularité des détentions ou des actes posés par les officiers de police judiciaire et autres. Il se remarque plusieurs violations des droits humains. Vous trouvez des personnes qui sont détenus sans aucun procès-verbal, parfois pour des faits vraiment bénins, des gens qui passent des semaines en détention et des OPJ qui vous somment de payer des amendes et autres frais non reconnus… en tout cas, la situation est grave car les lois sont couramment violées… », explique ce défenseur des droits de l’homme.
En territoire de Fizi, la situation est presque la même. Maitre Alphonse Kataraza est défenseur des droits humains dans ce territoire. Il affirme qu’auparavant tout le territoire ne pouvait se référer qu’au Tribunal de Grande Instance d’Uvira.
Actuellement, un tribunal de paix a été installé mais des problèmes persistent pour les habitants de certains coins éloignés.
« d’abord chez nous à Fizi, il faut dire que les routes n’existent presque pas et le transport est très difficile. Pour quitter par exemple Misisi et aller à Baraka avec des détenus, c’est un casse-tête. Non seulement il n’y a pas de route mais aussi souvent les OPJ et les autres autorités n’ont pas souvent des moyens financiers et logistiques pour juste transférer un présumé vers son juge naturel ou alors à la prison. Nombreux sont libérés juste parce qu’il n’existe pas de cadre pour les détenir ou alors pour garantir le respect de leurs droits. Et vous vous imaginez que plusieurs personnes ne connaissent pas les lois de la République ou conventions internationales. Tout ceci pousse pose problème parce que les gens souffrent », se plaint cet acteur au sein Fondation Monseigneur Emmanuel Kataliko FOMEKA en sigle.
Cette situation n’est qu’une conséquence logique de cet éloignement géographique des maisons d’arrêt par rapport aux instances judiciaires, estime Me Charles Mugaruka Mupenda, responsable d’une organisation qui réalise des activités de monitoring dans plusieurs maisons de détention, International Bridges to Justice IBJ en sigle.
« lorsque les maisons d’arrêt sont éloignées des instances judiciaires, il est possible que cela se présente. Dans les activités de monitoring que nous organisons, nous remarquons plusieurs irrégularités ; en tout cas plusieurs violations des droits et ce n’est pas normal. Mais il y a lieu de dire que l’éloignement n’est pas la seule et unique raison qui peut causer cela. Il est important que les agents soient conscients, que les autorités forment les officiers de police judiciaire et qu’il rende disponibles les moyens financiers pour faciliter le travail aux uns et aux autres », plaide-t-il.
Pour le procureur près le Tribunal de Paix du territoire de Kalehe le magistrat Hilaire Kasongo, les juridictions récemment installées dans différents territoires font face à d’énormes difficultés logistiques, financières et d’organisation.
Il précise toutefois que les efforts sont fournis par les uns et les autres pour rendre justice et remettre chacun dans ses droits.
« … nous travaillons mais nous faisons face à plusieurs difficultés. Nous reconnaissons que ces problèmes sont nombreux et les acteurs se plaignent. Imaginez que moi je couvre tout un territoire mais il y a des coins ou je ne suis jamais arrivé. Nous tentons maintenant de créer des centres d’écoute et des jours spéciaux d’écoute dans chaque coin pour rassembler les dossiers et lorsque nous avons un peu de moyen, nous organisons des audiences foraines. Mais ce n’est pas chose facile. Et puis, on a très peu de personnel… malgré ça, je promets tous les justiciables que tout doit bien marcher car nous sommes au service de la Patrie », rassure ce fonctionnaire de l’Etat.
Cette situation ne laisse pas indifférents les détenus. Le capita général à la prison de Kabare rapporte que leurs droits sont couramment violés et nombreux ne savent pas ce leur revient de droit.
«… nous traversons une situation difficile ici dans la prison de Kabare. Nous mangeons très rarement. Et quand cela arrive, c’est souvent grâce aux bienfaiteurs des différentes Eglises ou d’autres personnes de bonne volonté qui nous viennent en aide. Je suis ici depuis 6 ans et je suis devenu le capita général. Parfois vous trouvez des gens arrêtés juste pour des faits bénins. Vous voyez par exemple mon ami qui est là, il y a environ 10 jours qu’il est ici mais c’est seulement sur base d’une accusation de son voisin qui l’a soupçonné de vol. Jusqu’aujourd’hui, il n’a jamais été entendu mais on lui demande de payer 500 000 francs congolais pour qu’il soit remis en liberté. En ce qui concerne les conditions de détention, vous voyez vous-même, nous n’avons pas de lit, l’eau c’est un casse-tête, pour se faire soigner ce n’est pas facile car l’Etat nous a vraiment abandonné… moi on m’avait dit que si on a été condamné, on est privé juste du droit à la liberté mais on garde tous les autres droits. Aujourd’hui, même les droits les plus élémentaires nous sont privés… » se plaint Justin Kiza.
Une situation que déplore le procureur près le Tribunal de Paix de Kalehe le Magistrat Loir Kasongo. Sans beaucoup de détails, il précise que l’Etat Congolais a la volonté d’améliorer les choses mais cela demande des moyens financiers énormes.
«… moi je contrôle depuis plusieurs mois un tribunal de paix mais qui doit gérer les dossiers de tout un vaste territoire… moi même je n’ai pas tous les moyens de ma politique. Pour arriver seulement à mon siège, je dois quitter Bukavu ou je vis car là à Kalehe, je ne suis pas sur de ma sécurité. Ce que nous faisons c’est comme un sacrifice juste pour la Nation mais nous le faisons très bien malgré les difficultés. Mais je demande à tous ceux se sentiraient génés ou ceux dont les droits pourraient être bafoués de m’appeler à tout moment car, avec toutes ces difficultés, nous avons mis en place une stratégie de travail pour essayer de servir les justiciables»; explique-t-il.
Et dans d’autres territoires, certains responsables locaux transforment leurs résidences en des maisons d’arrêt avec le soutien des éléments de police.
C’est comme celui du territoire de Walungu ou un rapport de la société civile du groupement de Kamisimbi fait état des violations des droits humains par le chef de groupement qui a fait d’une des chambres de sa maison un cachot.
Ici, les gens sont détenus et subissent des traitements inhumais et dégradants avant d’être obligés de payer une somme fixée à volonté.
Et à propos de cette prison, précisons que ceux qui y sont détenus viennent en même temps du territoire de Kabare et de celui de Kalehe, une situation qui accroit davantage les difficultés vu l’éloignement géographique.
Plusieurs solutions sont envisageables. Pour le territoire de Shabunda, Me Joseph Mpeseni propose le renforcement des effectifs des officiers de police judiciaire, les former et leur doter des moyens financiers et logistiques nécessaires.
« … nous pensons aussi qu’au lieu de créer des maisons de détention partout ou installer des poste de police partout, il y a lieu de créer une prison moderne ou seront détenus tous les condamnés ou ceux qui sont en attende d’une décision judiciaire et juste à côté, installer un poste de police et une instance judiciaire avec un personnel et des moyens logistiques performants… », propose-t-il.
Ces propos sont relayés par Maitre Alphonse Kataraza du territoire de Fizi qui appelle, par ailleurs, les différents services impliqués à un sens de responsabilité.
Le président de la société civile noyau territorial de Kabare Virimbishi Bashizi Damien propose aussi que soient organisées des visites surprises dans les prisons et maisons d’arrêts pour vérifier la régularité de la détention.
Tous les acteurs qui travaillent dans la défense des droits humains sont unanimes ; il faut repenser la réforme du secteur de la justice afin de donner plus de confiance aux justiciables et s’assurer du respect des droits humains par toutes les parties qui interviennent dans ce secteur.
Une réforme qui a certainement commencé depuis 2010 avec l’installation des tribunaux de paix dans les chefs-lieux des différents territoires mais aussi avec le déploiement des magistrats. Néanmoins, cette réforme est loin de produire des fruits.
En effet selon les enquêtes menées, les tribunaux de paix ont été installés mais les infrastructures n’ont pas suivi car nombreux n’ont pas jusque-là des sièges propres. De même, le personnel semble insuffisant et les moyens logistiques posent problème.
Plusieurs magistrats qui ont été déployés d’ailleurs vivent dans la ville de Bukavu et ne se rendent dans leurs bureaux que très rarement lorsqu’il y a des audiences foraines financées par des organisations internationales ou en cas de nécessité.
Tout le travail a été abandonné aux greffiers et à l’occasion des audiences et lorsqu’il y a des audiences, les magistrats se déplacent mais font recours à des juges assesseurs pour compléter la composition.
Un Officier de Police Judiciaire de Kamituga en territoire de Mwenga qui a requis l’anonymat explique qu’ils font face à plusieurs difficultés et que les audiences se tiennent rarement dans les coins éloignés.
Le responsable de l’IBJ Me Charles Mugaruka Mupenda regrette de voir que cet élan de réforme a été stoppé avant qu’il arrive à son terme.
« … nous regrettons de voir que ce processus de réforme a été arrêté à mi-chemin. Nous ne pouvons demander aux autorités que de voir comment relancer le processus et améliorer les conditions de travail de ses agents. Les droits humains sont sacrés et un pays qui se veut démocratique doit aussi être respectueux des droits humains. Chacun doit faire son travail. Nous les organisations de défense des droits de l’homme nous sensibilisons et alertons les autorités et ces dernières doivent agir », estime-t-il.
Cette position est partagée par d’autres acteurs qui précisent que rien ne peut être comparé au respect des droits humains.
Et le ministre provincial de la justice au Sud-Kivu Dieudonné Kanyerera précise que ces inquiétudes sont fondées mais les réformes de ce genre nécessitent des moyens colossaux. Selon lui, le Gouvernement provincial est conscient du problème mais les solutions ne peuvent venir que du Gouvernement central.
Mulindwa Chelubala Etienne