Près de dix mois après la condamnation du chef milicien Masudi Alimasi Frédéric alias Koko-di-Koko et deux de ses coaccusés (Samitamba Samuel alias Kaburi Wazi et Mwilo Katindi) par le Tribunal Militaire de Garnison de Bukavu et l’appel introduit par la défense, les parties attendent impatiemment la suite du procès.
Commandant de la sixième brigade de la milice Mai Mai et ancien policier, Masudi Alimasi Frédéric alias Koko-di-Koko a été condamné mardi 19 novembre 2019, à la peine à perpétuité alors que deux de ses coaccusés à savoir Samitamba Samuel alias Kaburi Wazi et Mwilo Katindi ont respectivement écopé de 20 et 15 ans de servitude principale.
Ils ont été reconnus coupables des infractions des crimes contre l’humanité meurtre, par viol, par esclavage sexuel, par emprisonnement, par disparition forcée, par réduction en esclavage, en infligeant intentionnellement une douleur ou des souffrances aigues et par autres actes inhumains, prévus à l’article 7 du Statut de Rome.
Il s’agit de crimes graves commis dans plus de quinze villages des territoires de Mwenga et Shabunda entre janvier 2018 et janvier 2019.
Deux d’entre eux ont été acquittés. Il s’agit de Shabani Muganza alias Nonda et Mukulukilwa Mubake Justin dont les infractions des crimes contre l’humanité à leur charge non pas étaient établies en fait comme en droit pour absence des preuves.
Alors que cette condamnation avait suscité un espoir pour les victimes qui espéraient par la suite être remises dans leurs droits en voyant le jugement exécuté, c’était sans compter avec le droit au double degré de juridiction reconnu par la loi à la partie défenderesse.
Vivant aux côtés de certaines victimes dans le territoire de Shabunda, le président de la société civile territoriale, Me Joseph Mpeseni précise que les victimes vivent dans l’impatience de voir cette affaire être clôturée définitivement et tourner la page pour une nouvelle vie.
Rencontrée sur avenue Essence Major Vangu dans une famille d’accueil, une maman dont la fille avait été enlevée puis violée par la milice KOKODIKOKO semble ne rien comprendre de la suite de la procédure.
Sous le sceau de l’anonymat et hors micro, Madame Credo (pseudo) dit attendre l’exécution du jugement et pense que c’est fatiguant de refaire le même exercice des vas-et-viens devant les instances judiciaires.
« j’ai suivi le dossier et j’ai même été appelée à répondre aux questions de la justice à plus de deux reprises. C’est choquant de vivre ces interrogatoires car cela nous fait revivre ces moments douloureux. Je croyais qu’avec la condamnation, c’était tout. Mais quelques jours après, on nous a dit que ce n’était pas fini… nous n’attendons que la suite qui nous sera communiquée… », a-t-elle brièvement expliqué.
Cette inquiétude semble être prise en compte par les organisations partenaires qui accompagnent les victimes.
Selon Me Justin Ganza, avocat des victimes et intervenant à la Clinique Juridique de la Fondation Panzi, une descente est prévue afin de préparer psychologiquement les victimes à cette nouvelle étape.
« …en tant qu’avocats, nous sommes soumis à certaines restrictions relatives à la déontologie surtout lorsque la procédure est en cours. Ça c’est le conseil de l’ordre qui fixe tout. Néanmoins, nous sommes au courant que l’appel a été interjeté et le dossier pourra être fixé en audience après le déconfinement avec la reprise progressive des activités… tout ce que nous pouvons dire maintenant c’est que les victimes sont dans un état serein et on ne peut pas s’exprimer sur le lieu où elles vivent actuellement. Néanmoins, une équipe va se rendre incessamment sur le terrain pour préparer les victimes à affronter la nouvelle étape. Cette équipe sera composée des juristes, des psychologues ; bref, une équipe mixte », explique Me Justin Ganza.
Une étape à laquelle se préparent avec assurance les avocats des victimes
Me Charles Cubaka Cicura, du collectif des avocats de victimes (parties civiles), précisent qu’ils sont bien au courant que l’appel existe et ce n’est qu’un droit de la partie non satisfaite d’un jugement de pouvoir interjeter appel.
Il précise que les avocats des victimes restent en alerte et sûrs de la victoire.
« … nous sommes confiants. Nous le feront comme nous l’avons toujours fait. Ce n’est pas la première cause que nous suivons en appel. Nous avons toujours suivi des dossiers de crime de masse et la plupart de fois, en appel, c’est toujours la même chose qu’en première instance. S’agissant de ce dossier précis de KOKODIKOKO, il y a eu même des aveux de certains prévenus. Je crois qu’il y aura facilité pour le juge d’appel de pouvoir analyser les faits par rapport au droit. Nous en tant qu’avocats des victimes, nous sommes dans le même état d’esprit et je crois que tout va bien se passer… », espère Charles Cicura.
Du côté de la défense, les avocats justifient l’appel interjeté par quelques erreurs substantielles relevées en première instance et espèrent qu’en deuxième instance, leurs clients pourront recouvrer la liberté.
« par rapport à la justice, on ne peut pas dire que nous avons des craintes. Seulement il y a des questions auxquelles le premier juge n’avait pas répondu et auxquelles on aimerait voir le deuxième juge répondre et apporter des éclaircissements. C’est par rapport à la responsabilité individuelle de chacun des accusés parce que quand le premier juge a condamné, on n’a pas fait allusion à cela. Nous avons vraiment espoir », précise Me Esther Bashugi, avocate de la défense, avant d’émettre une crainte « la crainte que nous avons c’est que les organisations qui accompagnent les victimes ou parties civiles sont les mêmes organisations qui financent les audiences foraines. C’est l’unique crainte qu’on a parce qu’on se retrouve face à un juge qui n’est plus du tout indépendant… dans ce cas, on dirait qu’il sera obligé de rendre compte à ces organisations. Ce serait bien qu’au futur, l’Etat seul finance les audiences foraines ».
Le mérite du premier jugement bien qu’attaqué en appel
Avocat des parties civiles, Me Charles Cubaka Cicura précise qu’avec cet appel, il était impossible pour les parties de pouvoir exiger l’exécution de tout ou une partie du jugement car non encore coulé en force de chose jugée.
Néanmoins, il rassure que déjà la décision en première instance n’était pas anodine bien que non appliquée jusque-là.
« … comme vous le savez, une décision judiciaire joue plusieurs fonctions. C’est notamment la prophylaxie sociale et la fonction rétributive. Nous pensons qu’elle est un signal fort que l’on envoie dans la société pour attirer l’attention des délinquants à ne pas tomber sous le coup de la loi parce que le délinquant voit ce qui est fait à leurs pairs délinquants… donc la première satisfaction pour nos victimes c’est que certains de leurs agresseurs ont été condamnés et ont été réduits à une situation telle qu’ils ne peuvent plus commettre les mêmes actes. Nous savons que certains de leurs lieutenants sont encore dans la brousse mais avec la condamnation de leurs collègues, ils ne seront plus très actifs et ne peuvent plus s’aventurer à commettre de tels crimes. Ça c’est un mérite indéniable. Je sais que pour le commun des mortels, lorsqu’on a été victime et donc partie civile, la réparation civile intéresse beaucoup plus. Certes il est vrai que cette réparation intéresse mais l’on n’y arrive pas tout de suite. Il faut toute une procédure. Il faut d’abord que la cause soit connue au second degré et qu’elle acquiert l’autorité de la chose jugée. Dans ce cas précis et si le premier jugement est confirmé, l’on pourra s’adresser aux condamnés eux-mêmes mais aussi à l’Etat congolais qui a été solidairement condamné avec les bourreaux », explique Me Charles Cicura, avocat au barreau du Sud-Kivu.
Approché, le Président de la composition qui a siégé en première instance, le Major Kabila Ngoyi Gabriel, s’est réservé de tout commentaire précisant avoir dit le droit conformément aux textes de la République.
Ce procès au premier degré a connu l’appui technique et matériel des plusieurs organisations nationales, internationales et agences du système des Nations Unies réunies dans la Task Force, qui est un réseau informel d’acteurs internationaux qui collaborent afin de soutenir le travail des juridictions militaires congolaises dans l’enquête et la poursuite des crimes de masse en RDC ; il s’agit notamment de TRIAL International, Fondation Panzi, du PNUD et de la Monusco.
Signalons que cet article est rédigé et publié avec l’appui de RCN Justice et Démocratie dans le cadre des projets « Soutenir les efforts de la lutte contre l’impunité en RDC » et « Congo Justice Egalité Genre » avec le soutien financier de l’Union Européenne et de la Coopération belge au développement.
Pour RC J&D, Etienne Mulindwa