Le jugement rendu dans la journée de mercredi 6 octobre 2020 à l’issue de 10 jours d’audiences tenues devant plusieurs habitants et communautés venus assister à leur déroulement.Les prévenus Chabwira Chirabisa Isaac et Dieume Munono Babika ont été condamnés à 20 ans de servitude pénale par le Tribunal Militaire de Garnison de Bukavu siégeant au premier degré, en audience foraine, au terrain « Ihusi » en territoire de Kalehe.
A l’issue de l’instruction, les prévenus ont été reconnus coupables des faits portés à leur charge. Il s’agit des crimes contre l’humanité par meurtre, viol, esclavage sexuel, torture et autres traitements inhumains, pillage et la destruction.
Ces faits ont été commis dans plusieurs villages de Bunyakiri à savoir Katubiro, Kambali, Myowe, Kafunda, Chabunda, Mafugo et Chikowa en territoire de Kalehe entre 2016 et 2018. Ceci lorsque les accusés Chabwira Isaac et Dieume Munono faisaient partie du groupe armé Hamakombo.
Alors qu’ils ont reconnu avoir fait partie du mouvement insurrectionnel des Raiya Mutomboki, les deux prévenus ont cependant nié avoir participé à une quelconque opération qui aboutirait à la commission des faits dont ils sont poursuivis et condamnés au stade actuel.
Ils ont même soutenu qu’ils avaient été capturés puis enrôlés de force dans le groupe armé dirigé par Hamakombo. Et pourtant lors de confrontations avec les victimes (sous haute protection), certaines ont même reconnu leurs bourreaux en indiquant les avoir vus lors des différentes opérations.
Confrontant les déclarations des victimes, celles des prévenus et les rapports de certaines organisations de défense des droits humains au droit applicable en la matière, le Tribunal Militaire de Garnison de Bukavu, suffisamment éclairé dans sa religion a pu établir les responsabilités des accusés :
« … quant à l’action pénale, le tribunal dit établies toutes les préventions de crimes contre l’humanité par meurtre, viol, esclavage sexuel, privation de liberté, torture et par autres actes inhumains notamment le pillage, destruction et incendie mises à charge des prévenus Chabira Chirabisa Isaac et Dieume Munono Babika et les condamne sans admission des circonstances atténuantes… », a notamment jugé le Tribunal Militaire de Garnison de Bukavu.
Les prévenus ont également été condamnés à verser au profit des victimes, solidairement avec l’Etat congolais une somme de 180 000 dollars américains à titre de dommages et intérêts pour les préjudices causés. La responsabilité de l’Etat congolais a été établie par le fait que ce dernier n’a pas su assurer la protection des civils.
Un jugement diversement apprécié par les parties
L’un des avocats des victimes, Me Jogo Vunabandi se réjouit de ce jugement en première instance et espère qu’une procédure sera très vite enclenchée afin que les réparations prononcées au profit des victimes soient effectives sous réserve d’un appel qui pourrait être interjeté par l’autre partie, un appel qui est suspensif de l’exécution de tout ou partie du jugement.
« … le tribunal vient de condamner les prévenus. C’est une bonne chose. Mais ce qui est important pour nous c’est que les prévenus ont été condamnés solidairement avec l’Etat congolais. Nous saluons le fait que l’Etat congolais ait été condamné surtout parce qu’il a failli à sa mission de protection. On ne peut pas comprendre que des individus se réveillent et prennent les armes contre les paisibles citoyens que l’Etat se taise. Vous trouvez des villages entiers ou l’on peut totaliser une année voire deux ans sans avoir vu un seul policier ou un élément des Forces Armées. Ça c’est inacceptable. Je pense que le Tribunal a bien fait son travail… en rapport avec les dommages et intérêts, nous connaissons la procédure et nous allons la mettre en mouvement. Néanmoins, si les parties prévenues font appel, on va devoir attendre… », a-t-il déclaré.
De son côté, l’un des avocats des prévenus Me Andy Mahyuza dit se plier à cette décision de justice mais ira en appel.
« c’est une décision de justice. Nous ne pouvons que nous y courber. Toutefois, le législateur a prévu des voies de recours. Nous allons interjeter appel et nous verrons si en deuxième instance, nous pourrions avoir gain de cause », espère-t-il.
La communauté applaudit ce verdict mais formule des recommandations
Les personnes ayant participé à ces audiences saluent également la détermination de la justice militaire à lutter contre l’impunité des crimes graves commis par des groupes armés et d’autres hommes en uniformes qui se croient intouchables.
“nous sommes très heureux de voir ces audiences se tenir ici chez nous à Kalehe. C’est une leçon pour nous. Une leçon parce que tous nos jeunes gens qui avaient l’intention de rejoindre les groupes armés dans la brousse ne pourront plus le faire. Aussi ceux-là qui sont encore dans la brousse pourront réfléchir deux fois avant de commettre les exactions contre les populations civiles et pourraient peut-être déposer les armes après avoir suivi ce que leurs amis subissent…”, déclare Bahati Rwanabo Germain, Président de la société civile de Kalehe.
D’autres personnes demandent à l’Etat congolais de poursuivre la traque des groupes armés et de répondre à son devoir de protection pour que les personnes condamnées ne puissent revenir plus tard intégrés dans les rangs des FARDC avec des grades et dans les mêmes régions où ils ont commis ces exactions.
« nous sommes heureux que tout se soit bien passé. Nous sommes ravis de cette condamnation. Les gens ont beaucoup souffert par la présence de ces groupes armés, nombreux ont perdu les leurs et des biens matériels. Si vous regardez bien, ici chez nous à Kalehe centre et sur tout le littoral, il y a beaucoup de déplacés qui sont venus des hauts plateaux et de Bunyakiri. Tous ont fui la présence de ces rebelles. Malheureusement, nous voyons certaines personnes condamnées mais qui reviennent quelques mois après parfois avec des grades. Cela met en insécurité les victimes et tous les autres membres de la communauté. Nous voulons que cela cesse. La justice doit aller jusqu’au bout… », déclare un notable de Kalehe frénétiquement soutenu par plusieurs personnes présentes au lieu où se déroulait l’audience.
Une position qui vient soutenir la crainte déjà évoquée en cours du procès par les avocats des victimes ainsi que certaines organisations de défense des droits humains qui fustigeaient le fait que le ministère public ait transmis aux accusés la décision de renvoi avec des annexes contenant les noms des victimes en lieu et place des codes.
Étienne Mulindwa