Depuis près de huit mois, la ville de Bukavu fait face à une terreur indescriptible. C’est presque chaque jour que des cas d’enlèvement, des tueries, de cambriolages et braquages sont rapportés.
Si certains cas sont simplement isolés, d’autres sont des cas bien précis qui ciblent des personnalités sur base d’une simple fixation, des accusations infondées prétextant une appartenance à tel ou tel autre groupe.
Parmi les cas récents figure la découverte d’un corps sans vie d’un homme notoirement connu dans la cité de Nyangezi, une entité située à environ 25Km de la ville de Bukavu et vivant dans la cellule Muhungu La Voix du Congo en commune d’Ibanda.
Enlevé avec un de ses collègues le 28 octobre 2025 alors qu’il venait de quitter son chantier de fabrication des briques cuites dans la cité de Nyangezi, entité contrôlée par les troupes de l’AFC/M23, celui a été embarqué dans deux véhicules des hommes en tenues militaires vers une destination inconnue.
En cours de chemin, les deux otages seront séparés et mis dans des véhicules différents, témoigne un témoin. C’est seulement deux jours après que l’un des otages à savoir Rhuhunemungu Birhali Kanyonge va être retrouvé mort.
So corps ligoté et visagé bandé sera retrouvé en plein cœur de la ville de Bukavu jeté dans un caniveau vers l’école Lycée Wima, une zone également sous le contrôle de la rébellion de l’AFC/M23.
Peu avant, c’était le cas d’un notable du groupement d’Irhambi-Katana Mr Antoine Karumba dont le corps a été jeté en plein Parc National de Kahuzi-Biega à environs 30Km de la ville de Bukavu après un enlèvement revendiqué par des combattants dits Wazalendo, un mouvement armé proche des forces armées de la RDC.
Ces cas et bien d’autres illustrent le niveau de violence et de terreur qui règnent dans la ville de Bukavu ce dernier. Bien plus, les cas de violation des droits de l’homme caractérisés par des arrestations arbitraires, des viols et tortures sont devenus le quotidien pour les habitants de cette ville située à l’Est de la République Démocratique du Congo.
Des rapports de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, des Nations Unies et d’autres organismes internationaux à l’instar de Human Rights Watch en font large écho.
Des opérations planifiées mais qui ciblent réellement certaines personnes
Sous prétexte de lutter contre la criminalité urbaine et éradiquer le phénomène Wazalendos dans la ville de Bukavu et ses environs, le mouvement du M23 ne cesse d’organiser des bouclages et autres actions qui aboutissent à l’arrestation des masses de personnes.
Le tout dernier est celui qui s’est passé dans la nuit du 29 au 30 octobre dernier. En effet, après plusieurs tentatives visiblement infructueuses pour atteindre certaines familles dont celles de Mr Bihinda Matabaro François sur avenue Muhungu La Voix du Congo, quartier Ndendere dans la commune d’Ibanda, finalement une opération va aboutir à l’enlèvement de l’un des leurs.
Cette nuit-là restera gravée dans la mémoire des habitants des quartiers Ndendere et Panzi, dans la commune d’Ibanda, à Bukavu. Ce soir-là, la ville s’est réveillée dans la terreur. Environ 300 jeunes hommes ont été enlevés par des hommes armés identifiés comme appartenant au mouvement rebelle de l’AFC/M23 qui contrôle la ville.
Parmi les disparus, se trouve le frère aîné de la famille Matabaro, un jeune homme, dont la vie a basculé cette nuit-là.
« Ils sont venus en pleine nuit, armés et menaçants. Ils ont frappé à la porte et ont ordonné à tous les jeunes hommes de sortir. Mon frère Cigoho Matabaro Guy a été emmené de force. Depuis, nous n’avons plus aucune nouvelle de lui », confie, d’une voix tremblante, Marcelline Mwinja Matabaro, petite sœur de la victime.
Au sein de cette famille où la peur était déjà perceptible au regard des attaques répétitives et d’autres menaces des personnes inconnues, certains membres avaient pris le soin de désormais vivre dans la clandestinité.
« de fois, mon père commençait à passer la nuit dehors et ne venir que le matin. Avant on ne comprenait rien. C’est plus tard qu’on nous dira que la famille est en danger car il y a plusieurs menaces qui pèsent sur nous particulièrement mon père et mon grand frère. Ce jour-là, mon père était absent et ils ont préféré nous menacer et enfin amener mon frère Guy », s’inquiète Marcelline Mwinja Matabaro.
Depuis cette nuit tragique, leur fils reste introuvable. Personne ne sait s’il est encore en vie, ni où il a été conduit. La famille craint que le pire n’arrive à ce jeune homme à l’exemple d’autres familles qui sont toujours sans nouvelles de leurs membres enlevés dans des événements similaires.
Face à la recrudescence des attaques dans le quartier Ndendere précisément sur avenue Muhungu La Voix du Congo et d’autres zones environnantes, la famille Matabaro envisage de s’exiler à l’estranger, où elle espère trouver plus de quiétude et vivre loin de toute menace.
« Je pensais que j’étais le seul membre de la famille menacé mais avec les derniers événements, rien n’est rassurant. La seule option qui reste, c’est de quitter la ville et trouver refuge à l’étranger précisément au Burundi où elle espère plus de quiétude et vivre loin de toutes menaces. J’espère seulement revoir mon fils car ce qui se passe actuellement dans cette ville est inimaginable. J’ai passé plusieurs nuits à l’extérieur à cause des menaces et voilà aujourd’hui, c’est mon fils qui est enlevé et toute ma famille traumatisée. Et puis, toute ma prière c’est que ma fille Andemambika Matabaro Sophie qui réside actuellement en Belgique soit protégée par le gouvernement belge », indique Mr Bihinda Matabaro François, chef de la famille.
Et d’ajouter « le fait de viser la famille ici à Bukavu nous fait penser que même Sophie Andemanbika Matabaro peut être en danger là où elle est. On connaît que ceux qui opèrent ont des réseaux bien ouverts même à l’étranger et c’est pourquoi je crains aussi pour cette jeune fille qui, pourtant, n’a rien à voir avec ce qui se passe ici. En tout cas j’implore plus de sécurité pour ma fille et d’ailleurs toute ma famille ».
Le cas de la famille Matabaro n’est qu’un parmi des centaines d’autres familles frappées par cette tragédie silencieuse. Chaque famille dans ce quartier de la commune d’Ibanda vit désormais sans l’espoir de se réveiller le lendemain. Les ambitions de vivre en exil gagnent des centaines de ménages mais l’accès aux informations nécessaires et la crise économique provoquée par la guerre semblent être les principaux obstacles.
Si certaines résistent, d’autres par contre à l’instar de celle de Matabaro n’ont pas d’autres choix, déclare Murhula Machumbiko, défenseur des droits humains et président de la société civile dans la commune d’Ibanda.
« c’est difficile de vivre dans un stress pareil. Déjà la ville est sous occupation et cela entraine le stress. Y ajouter des menaces puis un pareil cas d’enlèvement, c’est trop. Malgré nos alertes et nos plaidoyers, rien ne change. Je peux conseiller à tout celui qui a la possibilité de quitter carrément cette ville pour revenir lorsqu’il sera rassuré de sa sécurité. Même tous ces bouclages qu’on organise, généralement c’est pour atteindre un objectif précis. On dirait un camouflage des opérations ciblées et orientées vers des personnes bien identifiées », déclare-t-il.
Les cas d’insécurité, des violations des droits humains et autres actes de terreur sont récurrents dans la ville de Bukavu. Réduits parfois au silence, les défenseurs des droits humains présents ont des difficultés à se prononcer de peur de devenir des cibles, ce qui semble laisser libre court à la perpétuation de tels comportements dont les auteurs restent multiples. D’autres ont carrément fui la ville à l’entrée de la rébellion tandis que d’autres cherchent toujours, de manière désespérée, une voie de sortie pour enfin délier leurs langues.
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