Les victimes des crimes contre l’humanité commis par le prévenu Takungomo Mukambilwa dit « Le Pouce » dans les villages de Migamba, Bugumbu et Nyamingilingili, groupement de Basimbi, chefferie de Wamuzimu, territoire de Mwenga au Sud-Kivu saluent la condamnation de ce dernier par le Tribunal Militaire Garnison de Bukavu.
Elles l’ont déclaré lors d’un entretien accordé à l’organisation Centre Africain pour la Paix, la Démocratie et les Droits Humains ACPD en sigle, organisation qui les a accompagnées durant tout le processus ayant abouti à la condamnation du milicien Takungomo.
Après la condamnation du prévenu Takungomo Mukambilwa alias Le Pouce, le coordonnateur de l’organisation ACPD, Mr Léonard Basilwango a indiqué que les victimes ont eu connaissance du contenu du jugement avec grande satisfaction.
Selon les victimes accompagnées par cette organisation, le jugement de condamnation a le mérite d’être apprécié à sa juste valeur car Sieur Takungomo était un « Tout Puissant » au point que personne ne pouvait s’imaginer le voir rabaissé jusqu’à répondre de ses actes devant la justice.
« … nous recevons beaucoup de messages de la part des victimes éparpillées sur le terrain. Les unes sont regroupées à des endroits précis et d’autres sont toujours en débandade. Certes, on n’a pas encore été sur place pour faire la séance de restitution du jugement mais nous sommes en contact permanent avec elles… elles ont accueilli ce jugement avec grande satisfaction à plusieurs niveaux », expliquent Mr Léonard avant de poursuivre que, les victimes sont satisfaites parce que leur souffrance a été entendue : « au fait, elles ne pensaient pas un jour que ce bourreau pourrait être rabaissé. Il était devenu le tout puissant et vraiment intouchable. A voir qu’il a été entendu par la justice, c’est un motif de satisfaction… ensuite, les victimes saluent ce jugement car elles espèrent que les préjudices qu’elles ont subis pourront par la suite, être réparés. Ces victimes ont beaucoup souffert, torturées, leurs maisons incendiées, chassées de leurs villages, leurs filles violées… Bien que ce jugement ne peut pas tout leurs rendre mais au moins les victimes pourrons retourner chez elles, dans leurs villages et ne seront plus annexées au territoire de Shabunda».
« Quand nous sommes arrivés sur terrain avec les magistrats, les victimes sont venues en grand nombre pour faire des dépositions pourtant au départ elles étaient très réticentes. Elles ont enfin compris que c’était sérieux. Voilà ce qui peut aussi expliquer ces sentiments de satisfaction », explique Leonard Basilwango.
Des craintes quant à l’exécution du jugement
L’un des avocats des victimes Me David Bugamba estime qu’il s’agit d’un jugement qui mérite d’être salué car au moins pour une première fois, le Tribunal a ordonné la saisie de 4 maisons situées dans la ville de Kamituga et qui appartiendraient au condamné Takungomo Mukambilwa.
Il précise que si ces maisons sont bien identifiées et que le jugement est confirmé en appel, cela constitue une garantie de réparation. C’est l’une des forces de ce jugement.
« … le Tribunal a ordonné la saisie des 4 maisons du prévenu situées à Kamituga ; Le Tribunal a également ordonné des mesures nécessaires pour réinstaller les victimes éparpillées, en déplacement dont certaines sont identifiées à Kitutu, Kamituga et les autres à Kakemenge ; Le tribunal a retenu en totalité les 164 victimes d’esclavage sexuel, emprisonnement et celles de disparition forcée comme parties civiles… », peut-on notamment lire dans le rapport élaboré par les avocats des victimes à l’issu du procès au 1er degré.
Des propos soutenus par le Centre Africain pour la Paix, la Démocratie et les Droits Humains ACPD en sigle mais émet une crainte. Celui-ci soutient par ailleurs que la peine prononcée a été aussi douce au regard des faits portés à charge du prévenu.
Cette organisation de défense des droits de l’homme pense que le tribunal aurait dû plutôt prononcer la peine de servitude pénale à perpétuité.
« C’est vrai que le tribunal a ordonné la saisie de 4 maisons appartenant au condamné. Mais on ne croit pas vraiment que ça peut être suffisant pour couvrir tous les préjudices subis par les victimes. Nous aurions voulu que la responsabilité de l’Etat congolais soit également établie. Car L’Etat congolais a failli à sa mission de protéger ces populations, et voilà elles ont vécu toutes ces atrocités et cela pendant des années. En tout cas, on voudrait que l’Etat congolais soit condamné au second degré.»¸prévient-il.
Pour rappel, le Tribunal Militaire de Garnison de Bukavu a condamné, lundi 11 janvier 2021, le prévenu Takungomo à 20 ans de servitude pénale principale. Il pourra également payer, à titre des dommages et intérêts pour tous les préjudices causés. Il s’agit de l’équivalent en francs congolais de 10 000$ pour chacune des victimes de meurtre, 5000$ pour chaque victime de viol, 6000$ pour chaque victime d’esclavage sexuel, 4000$ pour les victimes de disparition forcée, 1000 pour les victimes de pillage, 3000$ pour les victimes de torture et emprisonnement. Ce dernier a été reconnu coupable de crime contre l’humanité par meurtre, crime contre l’humanité par viol, par esclavage sexuel, par emprisonnement, par disparition, crime contre l’humanité en infligeant intentionnellement une douleur ou des souffrances aigues et crime contre l’humanité par autres actes inhumains. Ce conformément au Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale du 17 juillet 1998, en ses articles 7.1.a, c, e, f, g, i, k, 25, 28, 30, 72 et 75.
Un jugement attaqué en appel par la défense
L’un des avocats de la défense, Me Samuel Bujiriri salue la manière dont l’instruction s’est déroulée car aucun incident n’a été signalé du début à la fin. Il précise que toutes les parties ont bien fait leur travail en commençant par le tribunal.
Me Samuel Bujiriri émet néanmoins le vœu d’aller en appel car non satisfait du jugement.
« En tant qu’avocat de la défense, je peux dire que l’instruction s’est bien déroulée… cependant, dans une procédure pénale ou civile, la loi reconnait aux parties le double degré de juridiction. C’est en vertu de ce droit que nous allons introduire un recours. C’est le cas pour mon client Takungomo qui estime que le tribunal n’a pas bien dit le droit. Je ne saurai pas évoquer les motifs toute à l’heure mais je sais qu’ils seront connus lors de la procédure en deuxième instance auprès de la Cour Militaire… néanmoins et de manière générale ; je peux dire que le Tribunal n’a pas rencontré nos moyens de défense et nous espérons que le deuxième juge sera convaincu. Donc, Takungomo attend que le juge d’appel dise mieux le droit en infirmant intégralement la décision du premier juge… », explique cet avocat du barreau du Sud-Kivu.
164 victimes retenues et plusieurs autres qui réclament encore des poursuites
Au total 164 victimes ont été identifiées et retenues par le Tribunal. Signalons que ces faits ont été commis au mois de Mars 2012 dans les villages de Migamba, Bugumbu et Nyamingilingili, groupement de Basimbi, chefferie de Wamuzimu, territoire de Mwenga au Sud-Kivu.
Plusieurs autres victimes recommandent que des poursuites soient engagées contre d’autres éléments du groupe Charlequin encore présents dans leurs entités afin de faciliter leur bonne réinstallation.
Selon elles, citées par ACPD, Takungomo Mukambilwa n’a pas été le seul à commettre ces actes. C’est pourquoi elles plaident pour que les organisations partenaires qui accompagnent la justice et les victimes à poursuive sur le même élan afin que les autres auteurs des crimes graves répondent de leurs actes, c’est une garantie de la paix dans les zones insécurisées.
Le Coordonnateur de ACPD soutient et salue la participation des organisations de la Task Force Justice Pénale Internationale sans lesquelles ce dossier ne pourrait arriver jusqu’au bout car plusieurs cas de trafics d’influence en constituaient déjà un blocage.
« … nous avons travaillé sur ce sujet depuis longtemps. Il y a plusieurs hautes personnalités qui étaient citées dans le dossier comme faisant obstruction à son cours normal. Imaginez-vous qu’un mandat d’arrêt avait été émis contre Mr Takungomo mais ce dernier se promenait ici à Bukavu ; il entrait même dans les bureaux de certains responsables de la justice militaire mais il n’était jamais arrêté. Nous saluons l’implication de Trial International dans cette affaire. C’est vraiment grâce à lui que nous y sommes arrivés. Nous connaissons d’autres organisations à l’instar de RCN Justice et Démocratie qui ont également travaillé à plusieurs niveaux… », se réjouit Léonard Basilwango.
Etienne Mulindwa