Alors que depuis 2000, le gouvernement congolais s’est engagé dans un processus de lutte contre l’impunité des crimes de masse, le bilan reste mitigé. C’est ce que révèlent les témoignages de victimes et la note de plaidoyer intitulée : « L’urgence pour la RDC de solder sa dette envers les victimes de crimes de masse et revoir sa politique de réparation » réalisée par les organisations internationales, Avocats Sans Frontières, TRIAL International et RCN Justice & Démocratie.
Rencontrées au cours d’une manifestation organisée le 01 Octobre 2020 à Bukavu par la société civile du Sud Kivu afin de réclamer l’instauration d’un tribunal pénal international pour la RDC, les victimes de violences sexuelles, toujours en attente du versement des dommages et intérêts prononcé par des jugements rendus en matière des crimes internationaux, expriment leur mécontentement :
« Nous sommes fatiguées par les sensibilisations, surtout celles des organisations féminines qui nous invitent à avoir confiance en notre justice et d’y recourir surtout lorsque qu’on a subi des préjudicies afin de trouver réparation ».
« Je suis mère d’une fille victime de violences sexuelles dans l’affaire KAVUMU (député Batumike Rugimbanya et ses complices) et les auteurs avaient été condamnés à payer 5000 USD à titre de réparation ; mais jusque-là je n’ai jamais bénéficié de ce que le jugement avait prévu comme réparation ».
L’exécution des jugements rendus, « long comme un jour sans pain »
D’après les données collectées dans la note de plaidoyer « L’urgence pour la RDC de solder sa dette envers les victimes de crimes de masse et revoir sa politique de réparation », plus de 3300 victimes attendent toujours le versement de près de 28 millions de dollars de dommages et intérêts ordonnés par la justice congolaise. Des réparations prononcées dans le chef des accusés, mais également de l’Etat congolais, à titre solidaire.
A lui seul, le prononcé du jugement ne suffit pas pour procéder à son exécution : en RDC la procédure est longue et surprend les victimes par la multitude de démarches à entreprendre et des acteurs à mobiliser pour faire respecter ces jugements.
Le déclenchement de la procédure d’exécution passe d’abord par la mise en état du dossier, c’est-à-dire l’obtention deJ: la décision définitive ; Revêtue de la formule exécutoire, suivie de ; La signification de ladite décision aux personnes condamnées.
Et chacune de ces étapes, souligne l’étude, « vient avec son lot de démarches administratives, frais de justice et difficultés ». Situation difficile, pour la plupart des victimes, sans ressources suffisantes, vivants dans des milieux reculés et ne pouvant y faire face, comme en témoigne Monsieur Léonard Basilwango Mutumoyi, Responsable de la Clinique Juridique de l’organisation African Center for peace Democracy and human Roghts de Bukavu ACPDB qui a accompagné les victimes dans l’affaire Mulenge/Lemera
«Ce sont des victimes très vulnérables et très pauvres qui ont pu avoir un procès grâce à l’appui des organisations international la procédure est a coutée 8000 USD sans aboutir et c’est depuis 9 ans que ces victimes sont dans l’attente et ne savent plus à quel saint se vouer »
A noter que malgré les efforts des organisations internationales qui appuient les victimes et des actions isolées de plaidoyer menée par les avocats des victimes à l’endroit des politiques, ces derniers n’ont brillés que par des promesses et un manque de volonté.
Nécessité de repenser les choses
Dans l’acception la plus générale, la réparation consiste au rétablissement de la situation antérieure au tort : remise des choses en état ou versement d’une compensation du préjudice. Au-delà du montant global de la dette de l’Etat, l’étude s’est également penchée sur le détail des réparations octroyées par les juridictions. Les trois organisations s’accordent sur le fait que : « émerge un certain nombre de biais, à commencer par le caractère aléatoire des dommages et intérêts octroyés. Il n’existe en effet pas de barème harmonisant les réparations… »
Pour la plupart des cas, les montants alloués sont rarement justifiés sur la base des préjudices subis et constatés. L’absence des critères communs d’appréciation des préjudices subis par les victimes donne l’impression que le montant des dommages et intérêts par victime est surestimés et peut constituer un prétexte pour le gouvernement de ne pas s’acquitter de sa dette.
C’est à ce titre qu’Avocats Sans Frontières, TRIAL International et RCN Justice & Démocratie, préoccupés par l’inexécution systématique par la RDC des mesures judiciaires de réparation et l’impact sur les victimes de crimes de masse, recommandent
« La réforme de la procédure d’exécution pour rendre les réparations exécutables d’office ; l’élaboration d’un système de barème pour le calcul des dommages et intérêts, et sa vulgarisation »
Les organisations nationales et internationales : un dernier espoir pour les victimes
A travers cette étude, Avocats Sans Frontières, TRIAL International et RCN Justice & Démocratie visent à apporter une perspective renouvelée sur l’inexécution systématique de ces mesures de réparation de la part de l’Etat congolais. Les réflexions sont le fruit d’années d’accompagnement des victimes de crimes de masse devant les juridictions congolaises et d’un atelier organisé en décembre 2019 à Kinshasa avec l’ensemble des acteurs institutionnels et de la société civile impliqués dans les parcours de réparation des victimes.
Face aux diverses promesses et à l’incertitude quant à l’exécution des jugements rendus en leur faveur, les victimes dans l’affaire Mulenge/Lemera à travers le responsable de la clinique juridique ACPDB du Sud Kivu, font un appel aux organisations internationales et nationales, engagées dans cette cause :
«Que les partenaires, les organisations nationales qu’internationales nous aident dans le plaidoyer auprès de l’Etat congolais afin que nous obtenions l’exécution des jugements rendus en notre faveur et le paiement des dommages et intérêts ».
Notons que le lancement de la note de plaidoyer « L’urgence pour la RDC de solder sa dette envers les victimes de crimes de masse et revoir sa politique de réparation » est prévu le 15 Octobre.
Furaha CHITERA